‘Jedi Vou3li’, est un saint Awaqur, dont le mausolée se situe dans le village d’Ighzer Iwaquren.
Dans cet article je narre l’histoire de ‘Jedi Vou3li’ telle qu’elle m’a été racontée par un de ses descendant. J’ai enrichi le récit avec quelques descriptions, imaginées, de l’environnement et de la vie de la famille Tawaqurt, il y a plusieurs siècles. Elles n’altèrent et n’affectent en aucun cas les informations recueillies sur ‘Jedi Vou3li’.
Dans chaque village kabyle, il existe au moins un saint (ou plusieurs) représenté par un mausolée. Chez nous, Iwaquren, nous avons un saint appelé Jedi Vou3li pour lequel on a érigé un mausolée à l’endroit de sa tombe. Nous avons un deuxième mausolée qui représente un lieu sans certitude qu’il y ait eu un saint.
‘Jedi Vou3li’, est un saint Awaqur, dont le mausolée se situe dans le village d’Ighzer Iwaquren. Usthum’, dont nous n’avons aucun signe pour affirmer avec certitude qu’il s’agit d’un saint ou juste d’un lieu de vénération et de prière. Ce mausolée se trouve à l’extérieur du village de Taddart N’Lejdid éloigné de quatre ou cinq kilomètres d’Ighzer Iwaquren.
Dans cet article je narre l’histoire de ‘Jedi Vou3li’ telle qu’elle m’a été racontée par un de ses descendant. J’ai enrichi le récit avec quelques descriptions, imaginées, de l’environnement et de la vie de la famille Tawaqurt, il y a plusieurs siècles. Elles n’altèrent et n’affectent en aucun cas les informations recueillies sur ‘Jedi Vou3li’.
Qui est ‘Jedi Vou3li’ ?
De son prénom Ali, il est un enfant unique d’un couple de la famille Ath 3asker. Son père Velkacem et sa mère, dont personne ne se rappelle du nom et du prénom, sont des paysans. Ils habitaient une bourgade des Ath 3asker, depuis des lustres, située à quelques centaines de mètres au-dessus du village d’Ighzer Iwaquren. Certains disent, bien que cette bourgade existait bien avant le village de Tizimit. Le monument qui abrite son tombeau était construit plusieurs années après sa mort. Il authentifie (par des récits oraux) la présence du corps du saint Ali Ath 3askeur (qu’on appelle ‘Jedi Vou3li’) enterré dans cet endroit. Il est l’unique saint Awaqur, reconnu par une frange Iwaquren, Ath Yaghzer. Il est vénéré par la population locale en particulier les grand-mères, les mères et les sœurs d’un certain âge. Les citoyens de ce village visitent et prient ce saint dès qu’ils sont de passage dans les environs.
Chaque visite des femmes Tiwaqurine est une opportunité pour le solliciter, chacune dans ce qu’elle endure dans ses vœux et ses souhaits. Soulager leur souffrance, guérir une maladie, ‘dénouer’ leurs problèmes conjugaux, apaiser les relations tendues entre la belle fille et sa belle-mère ; ou tout simplement aider leurs enfants dans la réalisation de leurs projets. Elles se rendent au tombeau de leur saint pour lui demander une faveur, ou lui adresser leur culte d’actions de grâces (actes de reconnaissance). Chez Iwaquren, il n’y a pas de pèlerinage annuel comme dans beaucoup d’autres villages comme Imcheddalen avec Yema Khlidja, les 3 villages de kabylie Zoubga, Aït Adella et Aït Atsou qui organisent une cérémonie annuelle qui attirent des visiteurs de toutes les régions d’Algérie, jusqu’en France (pour les kabyles). Chez Iwaquren, il s’agit d’un pèlerinage individuel ou en petits groupes qu’on appelle ‘Ziara’. Cette année 2023, Ath Yaghzer ont organisé une Oua3da à la mémoire de Jedi Vou3li.
Par curiosité, je voulais savoir s’il y avait un type d’architecture spécifique des mausolées en Kabylie. Effectivement, j’en ai trouvé un grand nombre construit de manière sobre avec une forme similaire. Ils ont une base carrée, d’une hauteur sous plafond comprise entre deux et trois mètres avec un toit plat sur lequel on a élevé un dôme. Sur certains, on plante une tige ou un bâton porteur d’un croissant qui évoque un symbole musulman dans l’esprit des gens. Sur d’autres, il n’y en a pas. La lecture de la biographie des saints enterrés dans ces mausolées donne un profil d’hommes de formation religieuse islamique qui ont diffusé l’islam dans la région. C’est le cas de Sidi Udris, Cheikh Mohand Oulhoucine, par exemple. Celui de ‘Jedi Vou3li’ a été construit suivant la même forme. Son architecture et ses dimensions inspirent une comparaison avec ceux sus cités. C’est une pièce carrée surmonté d’un dôme plutôt conique (non hémisphérique), sobre, de dimensions modestes. Avec de telles similitudes, peut-on conclure que Jedi Vou3li était parti (ou l’a-t-on emmené) pour se former aux sciences coraniques dans une Zaouia, nombreuses, en Kabylie ? A son retour, a-t-il contribué à la diffusion de l’islam dans la région ? Etait-il un disciple de Nacer Eddine Mcheddali, savant musulman de notre région ? Les questions sont nombreuses sur la sainteté de Jedi Vou3li.
La place du mausolée dans la société kabyle.
Tajma3t(1) (l’agora), Tala(2), Abassal (la fontaine) et Lemqam(3) (le mausolée) sont trois lieux de rencontre des citoyens d’un village kabyle, en dehors des jours de fête. Ces lieux sont des institutions. Dans les deux premiers on vient pour apprendre, prendre des conseils ou tout simplement écouter et observer. Lamqam est de nature complétement différente. Il est un lieu matérialisé par un tombeau ou un monument érigé à une personne en signe de reconnaissance de son pouvoir ou de l’exemplarité de sa conduite en société. C’est un endroit où on ne prend rien mais on en donne, de l’argent ou une offrande ; on pose et allume des bougies. C’est aussi le lieu de prière et où on fait une requête à une personne sainte ou une personne qui a marqué sa vie par la sagesse, des actes de bienfaisance, son érudition ou ses pouvoirs surnaturels. Les femmes kabyles en particulier, l’évoquent assez souvent avant Rabbi, pour trouver une réponse, un réconfort voire une guérison à leur maladie. Elles considèrent le saint comme l’intercesseur entre Rebbi et la population. Il est un intermédiaire qu’elle sollicite pour intervenir auprès de Rabbi afin de ‘ne pas les oublier’.
Cet endroit est souvent choisi par les femmes pour s’asseoir et prendre du temps de méditer, se prosterner et prier à haute voix. Quelques fois elles peuvent être transportées dans un état de transe. Les hommes par contre ne s’y attardent pas, ils ne font que passer. S’il leur arrive de prier, ils le font discrètement et en silence.
La disparition subite de ‘Jedi Vou3li’.
Il y a quelques siècles, chaque famille Tawaqurt ‘fabriquait’ ses outils et ses ustensiles d’usage. Elle utilisait des matériaux et des végétaux naturels qu’elle trouvait dans les forêts et les champs avoisinants. Ainsi, elle tissait les couffins, des corbeilles et des doubles couffins en fibres de palmier appelées ‘Ousran’. En général, avant de les utiliser pour le tissage, elle les humidifiait pour les rendre plus malléables et souples à la manipulation. On raconte qu’Ali était un garçon adolescent, âgé entre dix et treize ans, comme ceux de sa génération. Il travaillait avec ses parents et contribuait aux activités de subsistance dans la région, l’agriculture et l’élevage. Cependant un signe le distingue plus particulièrement. Il avait une mèche de cheveux dorés qu’on appelle ‘Tawenza n’dhev’ en kabyle. On interprète ce signe comme un bon présage pour l’avenir. Ce qui allait se vérifier des années plus tard.
Un jour, les parents d’Ali, artisan de leurs matériels comme la communauté Iwaquren, l’avaient envoyé pour plonger des fibres de palmier (ousran) dans l’eau de la fontaine Tadunt (réserve ou bassin d’eau). Il avait pris ces fibres dans un couffin et partit en direction de la fontaine. Chacun de ses parents avait vaqué à ses occupations quotidiennes, comme d’habitude. Le temps long sans voir leur fils rentrer, commençait à les préoccuper. Mais ils temporisent avant de s’inquiéter sérieusement, croyant qu’il s’était peut-être attardé avec des camarades ou retenu par des proches. L’inquiétude grandissait au fur et à mesure que les heures passent. Ils ne voyaient toujours pas leur fils. Ils sont alors partis, seuls, à sa recherche. Naturellement, ils se sont rendus à la fontaine où leur fils était censé se trouver. Arrivé sur le lieu, ils découvrirent, surpris, des vêtements de leur enfant étalés par terre et les fibres de palmier trempées dans l’eau, sans Ali. Pris de peur et de crainte du pire, ils se sont mis à fouiller, toujours seuls, les environs de Tadunt, espérant qu’il se soit juste égaré. Malheureusement, leur recherche était vaine. L’information a circulé dans le village rapidement. Plusieurs personnes s’étaient jointes à Velkacem et son épouse pour élargir le périmètre de recherche. Malgré la mobilisation du village, Ali n’avait laissé aucune trace. Ne pouvant mobiliser la communauté au-delà du raisonnable, les recherches collectives s’arrêtèrent. Mais eux, continuèrent, avec leur courage et leur espoir de le retrouver. Après des mois de recherche et d’attente, Velkacem et sa femme se sont rendus à l’évidence, leur fils a disparu, ils ne le reverront plus. Ils se sont résolus à admettre leur sort et prier.
Les années passent mais la douleur de l’absence inexpliquée de leur cher Ali, ne reste pas moins vive ; le temps n’y fait rien. Une nuit d’hiver, comme à leur habitude, le couple vieilli avait pris son diner frugal de couscous composé de farine d’enveloppe de grain d’orge arrosé d’une sauce à l’oignon cuit dans l’eau. Il était assis autour du kanoun où crépitait les morceaux de bois dans un feu doux, entouré d’une fumée qui enveloppe les corps de chaleur et de douceur. Tout ce dont avaient besoin ces deux parents. Les deux vieillards, rongés par la question sans réponse, où est notre fils, se contemplaient dans un silence de méditation. Chacun était plongé dans son monde, leurs cœurs et en particulier ‘le foie’ de la maman, brisés. Chez les kabyles, quand la mère parle de son enfant chéri, elle fait référence au foie : ‘ami n’tassa 3zizen’. Pour la douleur de la disparition d’un enfant, elle dit ‘Tazza Tasaou (mon foie est grillé). Elle évoque rarement le cœur.
Le retour inattendu ‘Jedi Vou3li’.
Soudain un ‘toc – toc’, bruit venant de la porte, brise le calme ‘endormissant’. Velkacem se lève lentement, ouvre la porte et fait face à un individu vêtu d’un burnous couvrant le corps de la tête aux chevilles. Le visage dans la pénombre ne réveille aucun souvenir ni soupçon sur une personne connue. L’hôte et le passant se saluent mutuellement. Velkacem interrogeât, Que voulez-vous monsieur ? L’inconnu visiteur demande s’il pouvait passer la nuit chez eux, il faisait tard pour continuer son chemin par ce temps glacial. Valkacem lui fait signe de rentrer en lui souhaitant la bienvenue. En Kabylie, on ne refuse jamais l’hospitalité à une personne qui se présente à la maison. Ceci par tradition ancestrale d’accueil et de protection, La3naya. Il y a deux endroits dans chaque village kabyle, El Djama3 (la mosquée) et Ahanou (un local de Tajma3it) où tout passant peut trouver refuge pour une ou plusieurs nuits sous la protection des villageois.
Le vieux Velkacem l’installe autour du kanoun, comme lui et son épouse. Il lui propose de lui offrir le diner. Chez les familles kabyles, on cuisine toujours en quantité suffisante en intégrant le facteur d’invités surprise, même quand dans le dénuement. L’invité avait accepté l’offre pour engager une discussion douce, amicale et rassurante. Après s’être présenté comme un passant et un ‘Inevgui Errebi’ (invité envoyé par dieu), il avait commencé à les interroger sur leur vie, leur progéniture et leur communauté. Naïvement et spontanément, Velkacem et son épouse lui répondirent qu’ils sont des paysans vivant de leur activité agropastorale. Ils lui racontent l’histoire de la disparition de leur fils unique Ali, il y a plusieurs années. Depuis, leur vie est chamboulée et leur attente insoutenable. Après des recherches sans résultat, ils ont perdu espoir de le revoir un jour. ‘L’invité surprise’ les avait écoutés religieusement.
Les échanges avaient duré jusque tard dans la nuit. Le visiteur avait remarqué la fatigue de ses hôtes âgés. Il avait quasiment fait le tour de la vie de ce couple désespéré. Il avait senti qu’il était temps de parler de la raison de sa visite. Il leur pose alors une dernière question : si votre enfant revenait un jour, comment allez-vous le reconnaître ? Velkacem et sa femme étaient surpris par la question, eux qui ne comptaient plus revoir leur fils. Cependant, ils répondirent, sans conviction, que leur fils avait une mèche de cheveux dorée juste au-dessus du front. Mais, pourquoi une telle question, monsieur, relanças Velkacem. Après un moment de suspense et avec certainement un sourire qui esquisse une joie et un bonheur, le passant découvre sa tête en enlevant la capuche de son burnous et leur montre cette fameuse mèche. La voilà la fameuse ‘Tawenza N’dehev’, leur dit-il et leur annonce qu’il est effectivement leur fils Ali parti il y a plusieurs années.
On imagine la joie et le bonheur de ces vieux paysans. La pudeur culturelle chez nous avait freiné, comme on l’imagine, l’ardeur et le désir du père de l’enlacer dans ses bras. Par contre sa mère s’était sans aucun doute lâchée et fondue en larmes après tant de d’années de souffrance. Ont-ils dormi après une telle émotion ? Ont-ils fini la nuit à se regarder et à écouter Ali leur dire la vérité de son absence ? Nul ne se rappelle de cela. Par ailleurs, le lendemain matin, on imagine également la surprise, la joie et certainement le questionnement des Iwaquren sur ce retour inespéré et inattendu, quand ils avaient entendu qu’Ali Ath 3skeur est revenu.
Quelque temps plus tard, Ali s’était marié et a eu trois enfants : Hamou ath Hamou Ou3li, Slimane Ath Ali Ouslimane et Mohand Ath Belkacem Oumouhand. Malheureusement, nous ne pouvons donner aucune date. Ni celle de sa naissance, ni celle de son mariage, ni celle de sa mort. Nous ne connaissons de lui que le fait d’avoir disparu et d’être revenu plusieurs années plus tard. De même, nous ignorons tout de sa vie durant sa disparition. Est-ce la disparition et le retour inexpliqués d’Ali Nath 3asker expliqueraient, à eux seuls, sa vénération ? Fort possible. Mais, je pense qu’il y aurait aussi d’autres faits que nous ignorons qui se sont déroulés de son vivant
L’histoire inachevée de ‘Jedi Vou3li‘.
L’histoire d’Ali, vivant, n’ira malheureusement pas plus loin faute de témoignages. A ce jour, je n’ai pas pu recueillir plus d’informations sur les retrouvailles d’Ali avec ses proches et Iwaquren. Je n’ai pas non plus d’informations sur sa période d’absence et sa vie après son retour. Ce que ses proches ont retenu ce sont des faits vécus dans le mausolée de ‘Jedi Vou3li’ jusqu’à la fin des années cinquante.
Les témoignages sur ‘le pouvoir surnaturel posthume’ de ‘Jedi Vou3li’:
– Un jour, Yahia Messaoud enfant, avait entendu des pièces d’argent tombées dans le trou laissé pour les oboles, dans le mur du mausolée. Quand il avait crié, les pièces avaient subitement cessé de tomber.
– On raconte l’histoire d’une famille qui est venue se reposer à l’intérieur du mausolée. Parmi cette famille, il y avait une femme malade. A un moment donné, les personnes avaient senti des caresses sur leur corps. La personne malade est sortie guérie du mausolée.
– Un fait rare s’était produit sur une personne venue pour voler de l’argent que les visiteurs déposaient dans le trou réservé aux oboles. La personne devait s’introduire dans le trou pour ‘se servir’. On raconte que le trou s’était rétréci au niveau de la ceinture l’empêchant de ressortir. Il paraît qu’il a fallu appeler sa famille pour le faire sortir. Les membres de cette famille s’était engagés à offrir un lot à ‘Tagnit N’traghla’ et à être les premiers à contribuer à chaque Chmel des Ath 3askeur.
– Lors des bombardements de la région d’Ighzer Iwaquren, le mausolée de ‘Jedi Vou3li’ n’a été touché par aucun obus.
– Un harki avait témoigné sur un autre fait incroyable. Dans l’année 1957, il y avait un ratissage dans les environs d’Ighzer Iwaquren. Une troupe de militaires voulait dormir à l’intérieur. On raconte que cette troupe s’était retrouvée dehors à chaque fois qu’elle retournait à l’intérieur ; à trois reprises.
Quand Iwaquren évoque ‘Jedi Vou3li’ (Jedi, qualificatif de respect à la personne âgé ; Vou3li, celui qui a enfanté Ali). Il s’agit en fait de ‘Grand-Père Velkacem’, père qui a enfanté Ali. Nous sommes dans un cas exceptionnel où on parle du fils mais sous le nom de son père. On doit chercher les vraies raisons de cette ambiguïté historique.
(1) et (2) : vous trouverez un article sur la place de Tajma3it et un autre sur Tala, dans la société kabyle sur ce site FamiAli.com
(3) Sur Lamqam je vous renvoie aux riches publications de Rachid Oulebsir. Kabylie, mausolées et sanctuaires, gardiens de la mémoire collective.
Saïd HAMICHI