
NOUARA OUVERQAY est une sexagénaire Tawaqurt née à Tinswine entre Ath Mansour et Raffour, dans le contexte de guerre de libération. De père émigré en France, elle était élevée par sa mère. Ainée de trois frères et sœurs et en l’absence du père, elle était avec sa mère le deuxième personnage de la maison. La décrire est une source d’inspiration pour éclairer et éveiller notre société. Elle est porteuse de messages instructifs et riches d’enseignements. Sa vie est un trésor à ciel ouvert. Sa personnalité poétesse, analyste et fine observatrice subjugue par sa perspicacité, son intelligence et son éveil inné.
Jeune fille, on l’avait mariée à l’âge de seize ans à un jeune berger Awaqur. Le couple, elle et son époux, issu de familles de condition sociale modeste avait vécu de leur activité agro-pastorale entre Tinswine et Ighzer Iwaquren. Elle est une épouse, une mère et une grand-mère de la pure tradition Tawaqurt et kabyle. La vie sociale de l’époque était de rester unis en famille et de vivre avec les beaux-parents, les beaux-frères, les belles-sœurs et leurs enfants, sous le même toit. Sans oublier l’attention et le soin qu’on devait aux personnes âgées jusqu’à leur disparition. Sa génération avait vécu dans la misère de la guerre et de l’après la guerre où chaque membre de la famille, homme, femme et enfant, doit apporter sa contribution pour assurer le minimum vital du foyer.
Nouara est au fait de la chose politique ; elle est alerte sur la culture Amazigh et la condition de la femme Tawaqurt et kabyle. Sa vie de femme avec ses expériences de mère et de grand-mère ont constitué ‘la matière première’ de la construction de sa personnalité et de son humanisme. Elle est une femme d’une générosité sans limite et disponible pour apporter le soutien aux autres, si ce n’est par la parole et sa présence physique à défaut de moyens matériels et financiers. C’est une femme d’une intégrité, d’une honnêteté et d’une équité à toute épreuve. Dans notre société kabyle de l’époque, l’expression des sentiments de joie et de bonheur, si tant est qu’ils aient existé, devait être cachée ; à la rigueur discrète. De même, sous-entendre les sentiments de frustration, d’injustice et de révolte n’était pas toléré; c’était considéré comme un signe de faiblesse. S’indigner était interprété comme de l’irrespect vis-à-vis de sa communauté. Pour éviter un affront sur ses sujets, elle avait analysé et critiqué son environnement sous deux angles ; celui de la place et de la condition de la femme Tawaqurt – kabyle et celui de la répression de la culture Amazigh. Deux thèmes qui semblent l’avoir blessée dans son âme depuis sa jeunesse et qui constituent son terreau de culture de son indignation et de sa ‘rébellion intellectuelle’. Pour elle, la femme reléguée kabyle au rang ‘d’une mécanique bien huilée’ pour reproduire, élever, éduquer, travailler au champ et à la maison, supporter sa condition était inadmissible sociologiquement, moralement et physiquement. Elle est tout autant révoltée par la répression politique et culturelle qu’a subie la communauté kabyle après l’indépendance.
Tel un ‘microscope à balayage électronique’ elle avait scruté, son parcours et son environnement social. Elle n’est pas restée au stade du constat ; elle avait tiré les enseignements à transmettre aux futures générations. Rien ne lui a échappé. Dans un contexte hostile à toute expression, elle avait trouvé un ingénieux moyen d’interpellation et d’action constructif et prospectif. Ne pouvant se taire et supporter ce qu’elle observe ; ne pouvant le dire de vive voix en public et où la femme n’a ni le droit de citer ni celui d’être présente dans une association d’hommes ; elle avait puisé son moyen dans l’art et la culture ; la poésie. C’était il il y a une vingtaine d’années.
C’était à ce moment qu’elle semblait avoir digéré et classifié au rang de son histoire sa vie de jeune fille et d’épouse paysanne des périodes des années soixante aux quatre-vingts. Son existence était retranscrite oralement en savoir, savoir-faire et savoir être. Elle l’avait mémorisée et enregistrée en attendant le moment opportun de la digérer et la structurer pour nous la restituer sous forme de ‘poèmes – leçons’ qu’elle partage et qu’elle transmet à sa communauté. Ses poèmes sont devenus ‘une science de la vie’ que les enfants découvrent dans les écoles et les collèges ; que les adultes écoutent dans les galas et les fêtes culturelles, que les étudiants exploitent pour l’intégrer dans leurs travaux de recherche universitaire. Illettrée, Nouara avait acquis ses lettres d’instruction et ‘de professorat’ dans l’ école de la révolte intérieure contre l’injustice et de l’indignation silencieuse.
Ceci c’était certainement produit par un concours de circonstances favorable à libération de sa parole. D’une part son expérience personnelle et d’autre part la vie de ses proches l’avait amenées au besoin d’extérioriser ce qu’elle ressentait. L’une de ces circonstances était ‘l’exil économique’ de son fils dans un pays loin et méconnu. L’autre était, peut-être, la vie de ses parents et celle de sa mère en particulier qui peut-être écrite comme un conte. Ainsi, elle avait ouvert la soupape pour laisser échapper sa douleur et sa colère ; laisser libre court à sa joie. Elle voulait aussi crier et dénoncer toutes les injustices. Comme toujours avec Nouara, elle n’est pas seulement dans la révolte, elle sensibilise et interpelle la société sur les dangers et leur dessine les voies de l’épanouissement et de la ‘libération’ de la domination. Elle est une militante de l’émancipation de la femme Tawaqurt et la cause Amazigh.
La poésie comme vecteur de diffusion de ses messages laisse une empreinte inaltérable dans les mémoires des enfants et des adultes des deux sexes. C’est un moyen d’expression instructif pour l’homme et libérateur pour la femme. Les femmes de sa génération qui s’exprimaient sur les mêmes sujets étaient rares ; elles étaient chanteuses en utilisant les textes d’hommes. Elles étaient écrivaines érudites dont leurs écrits s’adressaient à des lettrées. Nouara, avec la poésie, voulait élargir sa cible et s’adresser aux lettrés comme aux illettrés. Quand on l’écoute réciter ses poèmes, avec gravité, son visage devient un tableau expressif de son dépit, de son indignation et de son impuissance face à un océan d’injustice et de mépris. Elle dégage une image d’une femme plongée dans la scène qu’elle décrit avec des mots précis et un sens sans ambiguïté. Quand on échange avec elle, elle est attentive et à l’écoute de l’autre avant de prononcer un mot. Elle est ouverte d’esprit et prête à débattre de tous les sujets ; social, culturel et politique. On y découvre ainsi une source intarissable d’expériences. Elle dit tout, sans filtre. Elle est convaincue de son authenticité. Avec un air concentré, une mine expressive de son engagement; elle invite à la reconquête et à la reconstruction de notre patrimoine culturel et au respect et l’élévation de la place de la femme Tawaqurt et au-delà, de la femme kabyle.
Nouara a été marquée par ses voyages au Canada chez son fils. Elle était heureuse de découvrir un autre monde multiculturel où le respect est la règle respectée par tous. Elle était attirée par les différences linguistiques, culturelles et ethniques qui vivent ensemble en toute harmonie. Son réflexe était de comparer l’Algérie à ce pays en pensant, notamment, au racisme que subissent les kabyles sur leur terre ancestrale. Ses visites dans plusieurs villes canadiennes, Québec, Montréal, Ottawa, Kingston, Toronto, Niagara et plusieurs autres petites communautés l’ont enrichie en observation et en comparaison. Aucune sortie ne l’indiffère, chacune attise sa curiosité et lui inspire des idées pour sa poésie. La comparaison des deux sociétés algérienne et canadienne sur le futur avait montrer deux mondes opposées. Dans l’un, l’Algérie on a peur de mourir ou ne pas avoir quoi manger la semaine prochaine, et dans l’autre, le Canada, on projette le lieu où passer son weekend pour être au calme .
NOUARA OUVERQAY est un trésor de connaissances sur lequel nous devons porter une attention particulière. Elle est une femme d’apparence ordinaire ; mais de clairvoyance extraordinaire. Sa richesse est immatérielle et insaisissable à la main, invisible à l’œil. Il faut avoir l’ouïe et l’attention saine pour comprendre la profondeur de ses messages. Elle nous lègue son parcours de mère et grand-mère sexagénaire comme un testament pour les générations futures. Elle a rédigé, numéroté et daté des pages virtuelles de son histoire et de ses multiples vies pour les reprendre et en faire une œuvre poétique. La youtubeuse Tamazight Moussaoui est la première opportunité pour faire connaître le savoir de Nouara par la diffusion de vidéos sur ses poèmes, ses plats traditionnels, azetta (couture traditionnelle), les plantes de Kabylie et leurs usages par nos anciens, etc….