Iwaquren déportés à Raffour : entre survie et reconstruction.

Leur terre, unique propriété d’où ils étaient chassés, manu-militari, et leurs enfants émigrés constituaient les principales sources de subsistance. Leurs maisons étaient réduites en un amas de pierres calcinées. Leurs oliviers, leurs figuiers et les autres arbres fruitiers étaient brûles ou abandonnés. Leurs lopins de terre étaient laissés en jachère. Sur le chemin de leur déportation, quelques familles ont été ‘parquées’ de force dans un ancien marécage.

Taddart N’Ljdid et Ighzer ont été détruits et Iwaquren ont été déportés dans la région de Maillot. Les générations d’après-guerre ne peuvent imaginer le drame qu’ont vécu leurs parents et leurs grands-parents ; leur destin a été chamboulé et déstabilisé. Ils devaient tout rebâtir dans le dénuement absolu. Ils avaient tout donné ; leur vie, leur terre, leurs maisons ; et avaient tout sacrifié pour libérer leur pays. Ils s’étaient retrouvés ‘nus’, déportés avec leurs enfants et jetés dans l’inconnu. Ils n’avaient emporté que leur patrimoine, invisible et immatériel ; indestructible et inaltérable ; leurs valeurs ancestrales et leurs idéaux. Ce que l’armée française ne pouvait brûler ni confisquer. Après un temps d’abattement, de questionnement et de doute sur leur existence ; devant l’impensable et l’inimaginable sort qui leur était réservé ; ils repartirent de zéro pour se reconstruire ; s’inventer une autre vie. Pire, ils ne repartirent pas de zéro, étant quasiment anéantis, ils renaquirent du néant. Ils n’étaient ni au début ni à la fin ; ils étaient quelque part, dans le vide, déboussolés et sans repères, sur une ligne de crête, entre périr ou survivre.

Leur terre, unique propriété d’où ils étaient chassés, manu-militari, et leurs enfants émigrés constituaient les principales sources de subsistance. Leurs maisons étaient réduites en un amas de pierres calcinées. Leurs oliviers, leurs figuiers et les autres arbres fruitiers étaient brûles ou abandonnés. Leurs lopins de terre étaient laissés en jachère. Sur le chemin de leur déportation, quelques familles ont été ‘parquées’ de force dans un ancien marécage. Cet endroit était choisi par l’armée française de ‘l’Opération Jumelles’ pour monter un camp de concentration de toiles, appelé ‘Les Toiles’. Iwaquren étaient regroupés sous surveillance militaire afin d’isoler les combattants de leur base logistique et alimentaire, qu’était l’indéfectible Taddart N’Ljdid. Les autres familles s’étaient réfugiées dans les villages alentours, Beni Mansour, Chorfa, Tazmalt, Selloum et ailleurs. Elles s’étaient agglutinées, peu à peu durant des années, pour rejoindre leurs proches dans cette ‘terre cauchemardesque promise’ par l’armée française à ces irréductibles patriotes. Ils avaient re-former la famille Iwaquren à l’image de celle de leurs villages de montagne Taddert N’Ljdid et Ighzer qui apparaissaient géographiquement proches, à une quinzaine de kilomètres ; avec des moyens motorisés, mais inaccessible faute de route carrossable.

Le ‘parachutage’ des Iwaquren dans cet ‘enfer de ‘Les Toiles’ était un mariage forcé qui s’est transformé, avec le temps, en mariage de raison. Ce camp ‘Les Toiles’ n’avait aucun lien avec les terres de leurs ancêtres, aucune âme. Au déracinement de ce peuple, à la douleur de la déportation et à l’inhospitalité de la nature de cet ancien marécage, s’était ajoutée l’hostilité de certains 3ruch qui l’entouraient. Certains, montagnards dans le sang et dans l’âme, n’avaient pas supporté les conditions de vie de ce nouveau village. Ils étouffaient, s’étaient sentis à l’étroit dans cet espace réduit et sans vie. Ils ne humaient aucune senteur d’une végétation composée d’oliviers qui n’étaient pas les leurs. Ils n’entendaient ni chant d’oiseaux, ni le bêlement de chèvres, ni le mugissement de bœufs, ni le braiement d’ânes. De rivières et des sources d’eau qui chantonnaient la musique des ruissèlements d’eau, il y en eut point.

Ceux-là, avaient préféré être sans abri, dans la nature de faune et de flore ; qu’être abrités dans des maisons en parpaing et béton avec une toiture d’Eternit, loin de la nature. Ils avaient pris le chemin du retour vers leur montagne pour reconstruire leurs maisons de leur chères Taddart N’Ljdid et Ighzer et se ré-enraciner en famille ou seuls au milieu de leurs paysages, des odeurs et des senteurs d’autrefois. Les autres Iwaquren plus nombreux, avaient intégré, avec déchirement, l’idée du ‘non-retour’ à la terre de leurs ancêtres pour des raisons économiques. Ils avaient, sans tarder, ‘scolarisé’ leurs enfants pour leur éviter leur handicap ‘d’illettré et d’analphabète’, subi, qui se révèle lourd de conséquence sur leur avenir. Armé de leur dynamisme dans la recherche d’une activité pour survivre, quelques-uns avaient créée des commerces à Raffour, Maillot, Bouïra, Tazmalt. Mais, pour la majorité, il manquait l’essentiel, le vital ; le travail. Les femmes, qui n’avaient jamais connu l’oisiveté et l’inactivité dans leur montagne, étaient confinées dans cette ‘prison’ de Raffour où leurs occupations se limitaient à la préparation des repas et l’exécution des tâches ménagères. Les hommes, jeunes ou moins jeunes, étaient voués à l’inactivité.

Eux qui étaient ‘bouillonnants’ d’énergie, qui se levaient tôt avec le chant des coqs, comme leurs épouses, leurs mères et leurs enfants pour s’affairer dans leurs champs ; étaient rongés par la passivité et cantonnés dans un périmètre restreint, sans aucun espoir, du moins à court terme. Le constat était désolant, révoltant et insupportable ; ils n’entrevoyaient aucune issue. Le problème reste posé. Comment s’en sortir ? Comment retrouver le goût de la vie, la couleur de la vie, le sens de la vie ; seuls, comme toujours. Contraints et forcés par leur destinée sur laquelle ils n’avaient aucune prise, ils avaient trouvé de l’énergie et du courage, leurs uniques armes, pour s’adapter à leur nouvel environnement qu’ils découvraient. Ils savaient qu’en dernier ressort, ils avaient leur terre natale pour les aider, même meurtrie. Après moult tergiversations et réflexions, c’est effectivement, la seule solution qui apparaissait évidente, réaliste et qui nécessitait très peu de moyens financiers : La reprise de leurs activités paysannes dans leurs terres de haute montagne. Elle comportait plusieurs inconvénients, mais elle était à leur portée.

C’est ce qu’ils firent, en conservant leurs ‘résidences’ à RAFFOUR. L’utilisation des moyens de transports payants écartés, faute d’argent ; il leur restait l’accès par le chemin pédestre escarpé, d’une dizaine de kilomètres, qui longe Assif Iwaquren. Le père avec la mère, quand ils n’avaient pas d’enfants en bas âge, partaient tôt le matin de Létoile, avant le lever du soleil, pour arriver dans la fraîcheur sur leurs champs et revenaient juste avant la tombée de la nuit. Leurs journées étaient bien chargées par une activité manuelle harassante et un trajet non moins fatiguant de quatre heures aller-retour, pour un bon ‘marcheur marathonien’. Ils réparaient, reconstruisaient eux-mêmes, ou en s’entraidant, leurs maisons qui allaient servir de ‘pied à terre’. Ils l’avaient fait aussi par amour pour leur seul patrimoine, même détruit, auquel ils étaient attachés. Ils débroussaillaient leurs champs. Ils entretenaient leurs oliviers, leurs figuiers et leurs arbres fruitiers, en attendant une situation meilleure. En dépit des difficultés et des contraintes de tous ordres, ils avaient réussi à créer une dynamique d’espérance. Ils digérèrent les souffrances de leur déportation, reprirent de l’espoir et redonnèrent vie à leur montagne sans montrer ou faire part de leurs états d’âme à quiconque. Le camp devenait RAFFOUR, il s’animait progressivement, aussi ; de nouvelles maisons ‘fleurissaient’ et agrandissaient ce village qui avait choisi et ‘épousé’ son identité, celle d’Iwaquren.

Ils étaient habitants et ‘propriétaires inaliénables’ de cette montagne grenier de tous leurs besoins alimentaires, produits et cueillis sur place par eux-mêmes ; pendant plusieurs décennies. Ils se sont retrouvés à Raffour, ce ‘no man’s land’, imposé par la force armée, où rien ne leurs appartenait. Ils étaient éloignés de leur terre devenue difficilement accessible et inexploitable faute de moyens. Raffour n’était, pour eux, qu’un lieu de ‘résidence’, une ‘cité dortoir’ et de consommation où ils devaient acheter tous leurs produits de première nécessité ; alors qu’ils n’avaient ni argent ni travail rémunéré. C’était le jour et la nuit ; ‘le paradis et l’enfer’. De telles conditions d’existence ont fait poindre un début de regret de la présence française, fût-elle militaire, violente et brutale. La vie devenait intenable matériellement, physiquement et psychologiquement. Pour eux, l’indépendance de l’Algérie faisait déjà partie du passé. Elle était libre, soit ; eux aussi ils l’étaient ; mais pour faire quoi ? Circuler, se déplacer ? Pour aller où, sans argent et sans moyens de transport ? Réagir et exprimer son désespoir et son désarroi ?

La raison aidant, ils se sont rendus à l’évidence ; le salut ne pouvait venir d’ailleurs, ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes, comme ils l’avaient fait depuis toujours. Ils instaurèrent une gouvernance du village en employant ‘la recette’ qui avait déjà fait ses preuves, en amalgamant intelligemment le code des coutumes kabyles et les lois françaises. Ils avaient procédé de la même manière avec les lois algériennes. Ils avaient reconstitué leur comité du village, Tajma3it, qui avait repris le code ancestral pour gérer leur vie interne.  Ainsi, ils avaient assuré une cohésion, fait respecter les coutumes qui préservent les liens familiaux et veillé à ce que la solidarité soit rappelée à tous. C’était une protection contre les lois, juridiques et sécuritaires algériennes qui n’avaient pas ‘le droit de citer’. Quant à leur comportement à l’extérieur, il était dicté par les lois du nouvel état applicable par tout algérien. Avec un dosage malicieux, Iwaquren avaient respecté les ‘lois algériennes’ qui ne différaient pas vraiment, des lois françaises, à quelques exceptions près.

Au niveau local, Iwaquren ne pouvait avoir pire environnement politique et social. L’administration communale, aux mains du 3arch qui ne les ‘portait’ pas dans son cœur, entravait toute initiative, refusait toute demande venant de leur part et étouffait socialement la population. C’était le déclic, peut-être inconscient, qui leur fallait pour se ressaisir et comprendre, du coup, que leur terre de la montagne n’était pas la ressource pour subvenir à leurs besoins. Ils s’étaient ‘réveillés’ pour affronter les difficultés du présent, aller de l’avant et se résoudre à préparer l’avenir de leurs enfants. Remontés et remobilisés par la rage de s’en sortir ; Iwaquren avaient concentré leur énergie sur leur préoccupation majeure ; leur survie. Fidèles à leurs valeurs et leur sens de responsabilité, ils avaient repris leurs idéaux ancestraux de courage, de solidarité et d’entraide ; et s’étaient engagés dans une autre lutte; revivre.

Saïd HAMICHI

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