L’homme kabyle vante et chante des louanges sur Dyhia et Fadhma Nsoumer. Sait-il qu’il a, peut-être, dans son foyer leur future héritière ? Le kabyle a tendance à montrer qu’il aime sa mère ; c’est bien et elle le sent. Elle a besoin et mérite plus de respect que d’amour, ce qui exige plus d’efforts. La femme kabyle est une lumière éternelle avec une énergie naturelle inépuisable…..

Mère illettrée, orpheline, sans parents ni famille s’avéra une femme stratège, résistante, robuste et résiliente à toutes les épreuves. Son vécu, elle l’avait ‘orthographié’ sans faute pour ne pas faire d’impair ou d’erreur d’interprétation dans la nuance du sens des mots. Le sens des mots n’est pas une question de vocabulaire. Ils ont été vécus, sentis et subis. Elle ne confond jamais la misère avec la pauvreté ; le manque avec le dénuement ; l’affection avec la compassion; fraternité avec avoir un frère. Pour elle, ne pas sourire exprime une douleur plus profonde que pleurer; avoir la tête nue en hiver fait plus mal que marcher pieds nus dans un champs d’épines ; s’arrêter pour parler est plus réconfortant que donner et partir. Ces marques ne sont déchiffrables que par les experts, comme le décodage des hiéroglyphes. Elle avait mémorisé tout ce qu’elle a vécu avec le sens de chaque sentiment, de chaque fait, de chaque blessure. Après une période d’abattement et de questionnement, elle s’était reprise et avait digéré le fait accompli.
Elle était unique. Elle est l’amortisseuse des chocs psychologiques ; le filtre des difficultés ; la source d’ondes positives……..Elle était sèche, impavide et distante même avec ses enfants ; c’était son tempérament forgé par les méandres de sa vie. Elle était patronne, on ne discute pas ses ordres; et ouvrière à la fois, exemplaire. Elle était impartiale et équitable ; organisée et gestionnaire. Chaque chose a sa place, chaque sou est compté, chaque dépense doit être justifiée.
La misère à l’état pur
Une femme qui est passée par toutes les vallées et les montagnes de la vie. Elle avait vécu l’orphelinat, la négligence du père, la maltraitance de la belle-mère, la misère, la femme de l’émigré, l’aisance, la maladie, le bonheur, le confort d’un mari aimant, le conflit conjugal et enfin la perte de son mari. Elle aurait eu quatre-vingt-dix-sept ans aujourd’hui. Sa vie était singulière.
Enfant, elle errait, sans domicile fixe. A onze ou douze ans, on la mariât à un homme émigré en France. Jeune mère, elle était redevenue épouse d’émigré après une parenthèse de femme de commerçant. Elle perdit son mari à quarante-cinq avec cinq enfants à charge. Elle avait fini sa vie autonome et indépendante de ses enfants. Elle n’avait ni rancune, ni griefs envers quiconque, ni haine. Dans les moments difficiles, elle en voulait, à ‘sa chienne de vie’ et sa destinée. Quand elle était excédée elle s’adressait à ‘Rabbi’; à un tel point qu’elle doutait ‘qu’il savait qu’elle existait et qu’elle souffrait’. Elle l’exprimait avec une expression kabyle simple et expéditive impossible à interpréter dans une autre culture :’A Rebbi Ur N yid N’U3i’ – A mon Dieu qui ne m’a pas vu !’ Elle avait tout connu. La femme qui avait manqué de tout avait bien géré et évité les pièges de la femme qui avait fini en ayant quasiment tout. Elle était restée la même femme mais avec plus de savoir pour agir et aider que de pouvoir pour mépriser ou blesser.
Elle en voulait à sa chienne de vie, à tel point qu’elle s’était jurée de ne jamais rester passive dès lors qu’elle a eu vent d’une personne démunie, et particulièrement orpheline. Elle avait tout connu dès l’âge de trois ou quatre ans. Elle était la deuxième fille née d’un second mariage de son père qui avait déjà trois garçons d’une première femme décédée. Sa mère devint handicapée des membres inférieurs suite à une maladie dont elle n’a jamais su le nom ni l’origine. Elle était invalide et immobilisée à vie. Son père était un homme âgé, paysan, connu pour ses dons d’orthopédiste, de vétérinaire et de maçon toujours disponible pour aider les gens par solidarité. Compte tenu de son âge et de la dureté de la vie de l’époque où les femmes devraient travailler dans les champs autant que les hommes, en plus des tâches ménagères et de l’éducation des enfants ; il devait se séparer d’elle. Elle devenait une charge lourde qu’il ne pouvait supporter. C’est ainsi, contraint de se séparer d’elle, il la ‘’répudiât’’, c’était la loi de la société qui ne pouvait admettre une épouse handicapée, et la ramenât chez son frère qui n’avait d’autre solution que de l’accepter et d’en assurer sa protection. Il se remariât avec une veuve, mère d’une fille, qu’elle avait ramenée avec elle. De cette belle mère, ta mère avait gardé un souvenir amer, lourd de ‘’torture sociale’’, avec un sentiment de réprimée et de chassée de chez elle. Elle et sa sœur, étaient traitées comme des pestiférées. Elle l’appelait ‘’la femme de mon père’’, rarement par son prénom.
De là ; sa vie devint un cauchemar et un chemin de croix. Sa belle-mère déposait, à elle et sa sœur, en plein hiver, une assiette contenant une galette de semoule de gland comme plat de déjeuner ou de diner devant la porte de la maison. Et appelait le chien en même temps qu’elles. Elles devaient courir pour arriver les premières avant que le chien, qui était juste à côté, ne s’accaparât de ce ‘’butin – festin’’. Il arrivait même qu’elles se disputèrent avec lui pour arracher quelques miettes. Elle était ‘’élevée’’ et allaitée par sa tante maternelle qu’elle considérait comme sa deuxième mère. Elle végétait entre la maison de son oncle maternel, généreux et très chaleureux dont elle a gardé un souvenir empreint de respect et de reconnaissance ; où elle voyait sa mère et le foyer de sa tante pour trouver à manger et un peu d’affection dont a besoin un enfant de quatre à huit ans.
Sa vie de ‘fille mariée’ à l’âge de l’enfance jusqu’à la mort de son mari avait traversé toutes les secousses des couples de l’époque, jusqu’aux portes du divorce. Elle était un ‘trésor à la maison’ dont l’unique objectif de sa vie est d’aider son époux.
Les atouts insoupçonnées.
Le père, disparu à cinquante-deux ans, avait semé les graines de l’éducation des enfants, avec elle. Elle les avait fortifiées, préservées et protégées des ivraies. Elle en avait semé d’autres, celles de la fraternité et de l’entraide, qu’elle n’avait pas connues et qui lui avaient tant manquées. Le décès de son époux avait changé et bouleversé sa vie. Au moment où elle devait assumer sa mission de mère et celle du père, elle paraissait impréparée et dépourvue de ressources. Pourtant, elle avait repris le flambeau avec assurance et relevé tous les défis. Elle avait affronté la vie avec ses propres armes qu’elle, seule, savait manier; alors qu’on la croyait démunie. Elle était ferme et intraitable sur les principes kabyles ancestraux. Un corps d’apparence fragile et frêle se révèle agile et résistant pour encaisser et amortir les chocs et les secousses qui guettaient sa famille. Ce corps couvait un caractère d’acier, une volonté inébranlable et une confiance en ses capacités de vous mener à bon port, inouïs. Elle le fit par tous les temps, contre vents et marées ; dans les tempêtes et les bourrasques, en gardant le cap fixé par ton père, la réussite dans tes études.
Sa relégation au rang d’une femme d’un mari quand il était vivant, dans l’environnement kabyle, avait caché une femme de défis avec une vision, une intelligence et une endurance digne d’un ‘chef de guerre’. Elle avait démenti ceux qui pensaient que l’illettrisme, ‘l’ignorance’ et l’inculture étaient des handicaps pour l’éducation des enfants. Elle avait démontré qu’avec sa personnalité, son courage et sa détermination, elle pouvait transformer ses handicaps en atouts pour guider sa progéniture vers de meilleurs horizons. C’était un serment d’une revanche sur son sort scellé de femme au foyer à la charge de son mari, devenue mère guide et meneuse de ses enfants vers la lumière. Le résultat était au rendez-vous, au-delà de ses attentes et même de ses espérances sans jamais afficher un quelconque sentiment de fierté ou d’autosatisfaction au grand jour et devant les autres. Cela ne se faisait pas chez elle, par peur de froisser ceux qui ne sont pas arrivés comme elle. Elle n’avait pas oublié son parcours.
Son manuel d’éducation, elle l’avait conçu oralement, avec son mari défunt dans l’école où ils avaient fait leurs classes. Ils avaient appris de leurs réussites mais plus de leur souffrance et de leur mal de vivre, de leurs blessures morales et corporelles. Elle s’était ‘auto-éduquée’. Son auto-éducation avait laissé des séquelles psychologiques et des cicatrices physiques qui refoulaient l’expression de tout sentiment. Elle ne montrait jamais son amour à ses enfants, elle n’avait pas à le prouver ; il était ‘inoculé dans le lait maternel. Elle ne les prenait pas dans ses bras, elle les avait portés jusqu’à l’âge de cinq, six ans, quand il le fallait. Elle leur souriait, mais avec parcimonie ; pour elle, un sourire est un signe de familiarité qui affaiblirait son autorité s’il était exhibé sans raison. Elle ne les caressait pas, sauf lorsqu’ils sont malades. Ce geste était subsidiaire devant la nécessité vitale de les nourrir. Ses mains étaient vouées aux tâches de tissage de tapis et de burnous, de cueillette d’olives et de figues, de ramassage du bois pour le chauffage d’hiver. Elle considérait ces tâches plus nobles et prioritaires pour subvenir aux besoins ‘physiologiques’ de sa famille. Ses éclats de rire ne s’étaient libérés qu’après l’envol de ses enfants ; et en des occasions exceptionnelles. Ses signes d’affection jaillissaient dans des circonstances de peine ou de souffrance ; en l’occurrence un accident ou la maladie. Ces moments la font submerger de peur de les perdre ; sa compassion et son amour ‘ruisselaient’, elle ne pouvait les cacher, malgré son sang-froid. Elle faisait appel à tout son savoir-faire en orthopédie héritée de son père, en pharmacologie des herbes médicinales et en imploration de Rabbi, des saints kabyles et des anges pour vous guérir et vous préserver.
L’intelligence et la spiritualité ‘armes’ contre l’illettrisme.
Ses croyances musulmanes se mélangeaient avec du paganisme. Ses serments sont construits autour de Rebbi et des saints kabyles. Elle pratiquait certains rites, Ta3chourt, le ramadan, par tradition, pendant la première moitié de sa vie. La prière et le pèlerinage, elle les avait pratiqués dans le tard. Elle amenait ses enfants et même ses petits-enfants, garçons, à Ivhlal pour les protéger de la maladie, rite légué par les ancêtres de son défunt mari. Elle respectait Us Thoum en saluant ‘son gardien’, quand elle passait prêt de ‘son mausolée’. Elle visitait, dans les années soixante, Sidi Amar Chérif, en rentrant face devant et sortant inclinée en reculant sans lui tourner le dos, selon ‘la prescription orale’. Elle avait longé ses enfants bébés en finissant par la croix chrétienne. Elle appelait les anges pour protéger l’enfant qui tombe, plutôt que Rebbi. Elle était la femme kabyle tolérante d’abord croyante musulmane ensuite. En croyance, elle n’était ni sainte ni sotte. Sa proximité avec la pauvre et en particulier les orphelins était discrète mais sans limite. A ce jour, des personnes nous révèlent ses actes de bonté et de générosité insoupçonnés.
La pérennisation des règles tracées par le père s’explique par leur complicité et leur entente sur le modèle d’éducation ancestral kabyle. L’amour qui l’unissait à son défunt mari devrait être décodé. Il faut savoir décoffrer’’ ce ‘’tabou’’ qu’était l’amour chez les kabyles. Il faut radiographier ses traces à travers leurs comportements, leurs attitudes et les gestes symboliques qu’ils s’échangeaient, pour le comprendre et le sentir. Les signes de cet amour étaient enveloppés dans le drap de la timidité ; tenus à distance dans le berceau de la pudeur ; partagés par le canal de la discrétion. L’amour, ce mot dans l’imaginaire kabyle, comportait des sous-entendus au sens propre comme au sens figuré. Il était censuré, ‘’banni’’ et contourné dans l’éducation, la tradition et la culture kabyles. Ce mot qu’on pouvait dire à un ami, mais jamais à son époux, à son épouse, à sa mère, à sa sœur, à sa fille ou à son fils. Cet amour se sentait, mais se narrait à voix basse. Il se lisait dans les yeux, mais toujours baissés. Il était en chacun d’eux; s’il devait apparaître il était subliminal mais pas en s’affichant. Le prononcer était excentrique et incongru ; le signifier était toléré à condition d’être suggéré. Il ne s’écrivait pas, sa langue était orale. Il se chantait, par effraction et s’écoutait par rébellion.
L’homme face à la femme a-t-il peur ?
L’homme kabyle vante et chante des louanges sur Dyhia et Fadhma Nsoumer. Sait-il qu’il a, peut-être, dans son foyer leur future héritière ? Le kabyle a tendance à montrer qu’il aime sa mère ; c’est bien et elle le sent. Elle a besoin et mérite plus de respect que d’amour, ce qui exige plus d’efforts. La femme kabyle est une lumière éternelle avec une énergie naturelle inépuisable.
La société patriarcale kabyle est soit inconsciente; impossible à imaginer compte tenu de sa prétendue maturité, elle qui donne des leçons sur la démocratie et les droits de l’homme. Ou est-elle suicidaire, c’est l’hypothèse que je privilégies. Le kabyle qui néglige ‘sa moitié’ la plus éclairée, la plus affutée et codétentrice du trésor culturel est condamné à l’extinction. Il s’ampute de ses forces, de ses atouts et de sa richesse. Le kabyle avait analysé la nature pour s’y intégrer et l’exploiter, édicté un code social communautaire envié et vécu et partagé son habitation avec les animaux. Mais son absurdité et son extravagance le rendent aveugle sur l’intelligence, la perspicacité et la lucidité de sa femme et sa fille. Comment est-il arrivé à un tel obscurantisme et aveuglement ?
Saïd HAMICHI
Respects à n’a Ouerdia !
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Je vous remercie sincèrement. Vos parents aussi
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Excusez ma maladresse d’avoir appuyé sur envoi avant d’avoir fini ma phrase. Je voulais vous dire que vos parents étaient dignes de respect et de gratitude de notre part.
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Khalti Ouerdia m’impressionnait quand j’étais petite et me donnait cette impression de la femme forte et solide, elle m’intimidait presque ! Je la respectait beaucoup “, at yerham rebi
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Avec ton arrière-grand-mère et d’autres; elles tenaient leurs places. Effectivement, elles intimidaient.
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C’était une grande école d’éducation de tout ce qu’on peut affronter dans la Vie , j’aimais m’asseoir à côté d’elle pour nous raconter ses petites histoires personnelles.. et ce que j’aimais Aussi c’est comment elle peut être attentive à ce qu’on lui raconte et les conseils qu’elle donne calmement …. J’adorais quand elle nous entendait rire et qu’elle nous appelle pour dire étant jeûnes filles comment on doit rire et parler à basse voix elle disait qu’en parlant et riant à haute voix en risquait de causer une crise cardiaque à nos futures beaux parents hhhhhhh elle me manque grave
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