Le Lycée Technique d’Etat de Dellys : ‘Une fabrique’ d’excellence et de réussite

Les trois années du L.T.E m’avaient appris à ‘réprimer’ mes besoins et mes désirs autres que ceux de la scolarité. J’avais appris à résister à la jouissance de l’argent disponible en poche, réservé et affecté, aux achats de produits indispensables. Mon budget pour les deux ou trois mois d’internat, entre les visites, était de trente-six Dinars. Les dépenses étaient millimétrées. .

Il y a presque cinquante ans, le 3 septembre 1972, j’intégrais ‘le mythique’ établissement L.T.E. (Lycée Technique d’État) de Dellys. Cette date marquait un évènement qui m’avait secoué physiquement, psychologiquement et sociologiquement.

Une analyse intelligente du passé, éclaire le futur, c’est une de mes devises. Il m’arrive, régulièrement, de prendre du recul et remonter le temps afin de comprendre les raisons de la couleur blanchâtre de mes cheveux. ‘L’escale’ de trois ans dans le L.T.E de Dellys fait partie des trois événements qui ont secoué ma vie et qui ont constitué ses principaux jalons. Il fut le deuxième, après celui de la disparition de mon père deux années auparavant, à l’âge de quinze ans ; et avant celui de mon ‘exil’, huit années plus tard, à l’âge de vingt-cinq ans. En leurs temps, j’avais vécu et ressenti chacun de ces événements comme une secousse brutale et puissante provoquant une déstabilisation et une perte de repères. La seule réponse qui vaille face à de ‘tels soubresauts’ est de s’en sortir et reconstruire ce qui a été abimé, si tant est qu’il soit reconstructible. A défaut, encaisser les chocs et ‘faire le dos rond’ en guettant l’opportunité d’un sursaut. Il faut veiller à ne pas ruminer son drame et ne surtout ne pas en vouloir à son sort ou à autrui. Il faut analyser les impacts de chaque secousse pour tirer tous les enseignements instructifs, en particulier ceux qui peuvent faire mal, parce que c’est dans ceux-là qu’il y a des leçons à tirer.

Ainsi, de la secousse du décès de mon père à l’âge de cinquante ans avait jailli la source du courage et de l’abnégation.  De celle de mon intégration dans ce lycée, j’avais puisé l’énergie de l’investissement et de l’effort dans la durée. J’avais appris la science et la vie. Et de la celle de ‘l’exil’, j’avais appris à faire face aux risques, à l’adversité et à l’inconnu avec sang-froid, en le ‘payant chèrement’ quelques fois. Tout ceci fait de manière intuitive et quelque fois inconsciente.

Toute secousse physique ou psychique génère un désordre. Elle déstructure un environnement établi, causant des dégâts matériels et psychologiques. De ce désordre, jaillit, naturellement, une source d’énergie positive invisible. Mais, Faudrait-il encore la sentir et la saisir pour l’exploiter à bon escient ? C’est ce qu’on appelle, savoir se ressaisir, reprendre ses esprits, trier ce qu’il faut pérenniser et s’alléger de ce qui est inutile.

Être admis au L.T.E de Dellys : beaucoup de travail ‘épicé’ d’un zeste de chance

Arrivé en classe de 3ème (4ème année moyenne actuelle), j’étais un élève de la première promotion sortie du collège de Maillot en 1972, qui ne s’appelait pas encore AMROUCHE Mouloud. On devait choisir une option pour poursuivre les études secondaires. A l’époque, il y avait trois options, Mathématiques, Lettres et Technique; me semble-t-il. Les deux premières menaient vers le lycée Abderahmane Mira de Bouïra qui allait ouvrir l’année suivante. L’option Technique menait vers le L.T.E de Dellys. Sans raisons objectives, l’option Technique m’avait intéressée. L’admission dans ce lycée, était sélective, sur étude de dossier de la scolarité de l’élève. On nous avait dit qu’il sélectionnait les trois premiers de chaque collège de Kabylie et de la région de Sétif, notamment. On nous disait également, à l’époque, que ce lycée formait ‘les futures élites’ de l’Algérie; il était l’un des meilleurs. Hormis ces informations générales, je ne connaissais ni le nom, ni la localité de cette ville. Il n’y avait aucun awaqur avant. Nous étions, Mohamed SADAOUI et moi, les premiers .

Étant parmi les premiers de la classe, j’avais demandé l’avis à Mr PAVAGEAU, un enseignant. Sa réponse a été plus que positive, il m’avait vivement conseillé cette option et ce lycée. Ce que j’ai fait ‘au doigt mouillé’, l’outil d’orientation en mer des marins, avant l’invention des appareils de navigation. Mon choix n’était ni prémédité ni mûrement réfléchi. Je n’étais pas sûr d’y aller, pour des raisons financières qui ne m’auraient pas permises de m’offrir une formation dans un lycée éloigné, pensais-je. Je me suis imposé cette contrainte financière de mon propre chef, sans aucune prescription ou pression de ma famille et de ma mère en particulier. La seule exigence qu’elle imposait à ses enfants était ‘étudier’. Elle savait se sacrifier quand elle le jugeait nécessaire.

J’avais donc prévu une solution alternative au choix du L.T.E en m’inscrivant au concours d’entrée à l’Institut National des Hydrocarbures de Boumerdés, pour préparer un diplôme de Technicien Supérieur. Cette option, hors du collège, était admissible sur concours et offrait une bourse. Les diplômes d’Ingénieur et de Technicien Supérieur de l’INH était très côtés dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Mon frère Ali, élève brillant, était admis l’année précédente. La valeur du diplôme, l’opportunité d’avoir une bourse et l’avis positif de mon frère avaient constitué le bon cocktail qui m’avait séduit et attiré vers cette formation. Le critère de bourse était prépondérant dans mon choix, compte tenu de la situation matérielle et financière très critique de ma famille. Convaincu de ma bonne décision, je me suis bien préparé pour réussir ce concours où l’épreuve des Mathématiques avait le coefficient le plus important.

En revenant d’Alger où j’avais passé une dizaine de jours de vacances, après le concours de l’INH, j’avais trouvé un courrier du lycée de Dellys m’informant de mon admission. J’avais reçu les papiers administratifs à remplir et les pièces du trousseau d’élève interne. Il y avait également mon numéro de trousseau 372 qu’il fallait broder sur chaque vêtement pour le besoin d’identification et de gestion. J’avais su par la suite que nous étions trois admis du collège de Maillot, deux iwaquren de Raffour et un camarade de Maillot Gare. Dans la même période, j’avais appris par la publication des résultats du concours de l’INH dans le journal El Moudjahed que j’avais échoué. Mon projet de formation de Technicien Supérieur à l’INH s’évapore. Il ne me restait plus que le lycée de Dellys.

En informant ma chère mère du résultat de mon choix, elle n’avait ni insinué, ni évoqué la question d’argent. Avec elle, s’il faut étudier à Dellys, ‘eh bien il faut y aller’. S’il faut acheter un trousseau, ‘eh bien on va l’acheter’. Tout ceci me paraît aujourd’hui incroyable. Comment et pourquoi ne m’avait-elle pas imposé de rester dans la région et de choisir le lycée de Bouïra, comme la majorité de mes camarades ? Cette mère ‘unique et presque parfaite’, m’a toujours surprise. Elle était inégalée et sera éternellement inégalable. Elle était intuitive, battante, protectrice, exigeante…. J’arrête là, de chaudes larmes noient mes pupilles d’émotion et de souvenirs de cette fée, ineffaçables et inaltérables. Le trousseau avait couté trois milles centimes. Une somme d’argent très importante pour l’époque. 

Le jour de rentrée du 3 septembre 1972, Mohamed et moi, rejoignîmes notre camarade Allaoua, le troisième admis, avec nos valises, devant la station-service de ses parents à Maillot Gare. Il était 9h00 du matin. De là, nous avons été emmenés par un émigré, cousin de Alloua, venu de France en vacances avec une 4L (Renault 4) immatriculée 08, dans les Ardennes françaises. C’était la première fois que je me séparais de ma famille, de mes copains et de mon village pour une durée indéfinie, qui dure jusqu’à ce jour.

Nous étions arrivés directement devant la porte d’entrée du lycée vers 14h00.  Avons-nous déjeuné, je ne saurais le dire, je ne me rappelle plus. En tout cas, je n’avais pas la tête à cela. Nous avions trouvé d’autres élèves qui attendaient devant le portail d’entrée pour les formalités administratives. Le cousin de Allaoua nous avait déposé et était reparti, sans tarder. Ce moment était irréel, j’étais secoué et plongé dans le dépaysement absolu. Rentrer dans ce lycée construit au bord d’une falaise abrupte ; se retrouver au milieu de dizaines de garçons habillés de vêtements neufs sentant différentes odeurs de tissus, cheveux coupés et bien coiffés et les visages fermés ; confier ses valises à une dame blonde et ronde, responsable de la ‘conciergerie’, etc…avaient de quoi être perturbé et déboussolé. J’étais dans un autre monde, une autre planète. Ce moment très confus est difficile à décrire, même aujourd’hui. J’étais dans un mélange de peur de l’inconnu, de perte de repères, de solitude psychologique pourtant au milieu de dizaines élèves, etc…. J’étais perdu, je ne sentais plus mes membres.  

Les ingrédients de la réussite du L.T.E ,

Ce lycée est un moule de formatage de la personnalité. On ne sortait pas indemne psychologiquement et culturellement de là-bas. On ne ‘baignait’ pas dans le bonheur. On ne passait pas trois années de vie paisible. On partait en mission de poursuite des études en Mathématiques, Physiques et Technologie, on sortait avec une formation plus étendue sur la culture et la vie en société. On découvrait l’histoire des imazighen et leur hymne, ‘Akar A Miss U Mazigh’. On apprenait à gérer un budget de dépenses, à maîtriser ses désirs de consommations et à vivre en fonction de ses moyens. On ‘subissait’ le bizutage qu’on appelait transmission des traditions, ciment de constitution d’une communauté, véhiculées dans ‘la chanson des bleus’. On vivait sous une surveillance stricte de respect de règles d’hygiène, d’ordre, de l’institution administrative et des enseignants. Le nom de Mr HARBI suffisait à lui seul, pour identifier le système de surveillance. Rentrer dans cet endroit – légende, se compare à l’embarquement dans un avion pris dans l’œil du cyclone, pendant trois ans. On était le passager et le pilote – commandant de bord, dont la destination finale s’appelait : BAC, avec une mention, de préférence. J’étais ballotté durant toute ma formation par des intempéries et des cyclones de tous ordres ; matériel, sentimental, familial, etc…

L.T.E de Dellys était l’un des seuls lycées en Algérie, à l’époque, qui autorisait l’organisation des élèves dans une structure élue, dotée de statut et de finances autonomes, pour gérer la vie des élèves. Elle veillait en particulier sur le respect des règles des traditions. Elle gérait également l’animation musicale des pauses de déjeuners et des soirées. On y diffusait des chansons variées, de l’époque : Ouh A Louiza d’Ait Menguellat, C’est un beau roman de Michel Fugain. Pour la fin du monde prends ta valise, dont j’ignorais le nom du chanteur …dans la grande salle des soirées. L’emploi du temps qui laissait très peu de temps à la distraction ou l’ennui était édifiant. Le détail de la journée ressemble à un agenda d’un premier ministre, il montrait le souci de l’organisation méticuleuse et de la gestion rigoureuse du temps. A l’époque, on disait rarement Incha Allah. Cette expression avait une valeur noble, spirituelle et respectée. Sur les vingt-quatre heures de la journée, huit étaient réservées aux cours et travaux pratiques, quatre aux travaux d’études, deux heures aux repas, deux heures en liberté surveillée, entre les repas et enfin huit heures pour le sommeil. Les élèves de Seconde, appelés ‘les bleus’, n’avaient aucun instant de répit le premier trimestre. Chaque seconde libre était accaparée par les élèves de Terminale pour leur faire subir les traditions. Voici l’agenda horaire. A vous de juger :

Jours de semaine :
06h30 – 07h00 : Réveil, toilette et descente vers le réfectoire en rang.
08h00 – 12h00 : Cours. 
12h00 – 12h45 : Déjeuner.
12h45 – 13h00 : Pause.
13h00 – 13h45 : Études.
14h00 – 16h00 : Cours.
16h00 – 16h15 : Gouter, un morceau de pain et un bâton de chocolat 
16h15 – 18h00 : Cours.
18h00 – 19h00 : Pause.
19h00 – 19h45 : Diner.
20h00 – 22h00 : Études.
22h00 : Montée au dortoir en rang.
Le vendredi soir, le ‘pion’ faisait l’appel pour les sortants du weekend. La formule apprise par cœur : nom et prénom, Samedi midi, lieu de sortie, Dimanche dix-neuf heures. Cette expression que la majorité de mes camarades prononçait tous les vendredis soir, moi je la ‘récitais’ quatre à cinq fois par ans.
Le samedi : cours le samedi matin jusqu’à 12h00. Pour les sortants, ils partaient chez eux, sans déjeuner. 
Pour nous les restants, comme moi, qui ne sortaient qu’une fois tous les deux mois et demi, pendant les vacances et les deux fêtes de l’Aïd, la suite le programme corsait le décor.
12h00 – 12h45 : Déjeuner
12h45 – 14h00 : Pause.
14h00 – 16h00 : Études
16h00 – 17h00 : Pause. 
17h00 – 19h00 : Études.
19h00 – 19h45 : Diner.
20h00 – 22h00 : libre – TV
Dimanche :
07h00 – 07h30 : Petit-déjeuner. 
09h00 – 11h00 : Études. 
11h00 – 12h00 : Pause.
12h00 – 13h00 : Déjeuner
13h00 – 19h00 : Sortie en ville
19h30 – 20h00 : Diner
20h00 – 21h00 :  (trou de mémoire)
Les traditions sans finalité

Dellys, une ville ignorant ses richesses

Les trois années de ma jeunesse que j’ai passées dans cette ville côtière riche en vestiges et en histoire, n’ont pas imprimé des souvenirs inoubliables dans ma mémoire. Les soubresauts de ma vie, eux, par contre, ont été gravés, à jamais. J’ignorais tout de la ville en rentrant, je n’avais presque rien appris, sur elle, en sortant. Je ne suis plus retourné depuis que je l’avais quittée. Sans exagérer, une grande majorité d’élèves de l’époque ne connaissait le nom d’aucune rue de la ville, même celle du L.T.E. le lycée et la ville n’avaient rien de commun si ce n’est le nom de Dellys. Il était construit sur une falaise abrupte qui donnait sur la mer et ceint par un mur infranchissable; il y avait très peu de vues sur la ville. J’avais l’impression de vivre dans un lycée construit sur un terrain neutre. Il était un vase clos qui ne communiquait avec l’extérieur qu’à travers un portail qui donnait sur la rue et sur un mur crépi, à l’occasion des sorties des lycéens.

Dans cette ville, je ne me hasardais pas, comme beaucoup de mes camarades, pour découvrir son patrimoine culturel, architectural et historique. Je ne me suis jamais ‘aventuré’ dans ‘la médina’ – la vieille ville pensant qu’elle n’était qu’un ensemble de maisons sans intérêt historique. La communication des autorités de cette ville, pleine d’histoire et de culture ancienne, pour valoriser et diffuser son image, était inexistante. On n’entendait personne et on ne lisait nulle part les informations sur la ville. Les élèves du lycée, plus de cinq cents futurs cadres de l’Algérie en développement, nous disait-on, ne constituaient pas une population d’intérêt économique, culturel et touristique. Ces jeunes venaient à Dellys pour étudier et repartir, se disaient les Dellysséens. Certains, dont moi, ne revinrent jamais après leur fin d’études. Ce lycée était une verrue dans cette ville. Ils s’ignoraient, ils ne partageaient aucune valeur commune. Etaient-ils dans le même pays, l’Algérie, devrait-on se poser la question ?

Mes sorties en ville, les mercredis et les dimanches après-midi, étaient des routines pour se sentir un peu plus libre hors dans l’enceinte fermée de l’établissement. Elles étaient un semblant de liberté temporaire de quatre heures. Elles étaient des échappatoires momentanées d’un univers uniforme habillé de blouses blanches, de la population juvénile de niveau social homogène modeste et de l’oxygénation des neurones bourrées de Mathématiques, de Physique et de Technologie. J’étais inculte, moi comme beaucoup de mes camarades, qui venions des villages kabyles sans infrastructure culturelle, de parents paysans, d’émigrés illettrés ou orphelins de pères combattants de la guerre d’Algérie. Notre éducation avec des valeurs kabyles ancestrales n’intégrait pas l’histoire amazigh de l’Algérie, interdite à l’époque. Notre tradition orale ignorait la littérature. Notre pudeur nous divorçait de l’art et de la musique. Cependant quelques élèves, de la région d’Azazga, entre autres, sortaient du lot. Ils avaient une culture générale qui ‘m’intimidait’.

En franchissant le portail du lycée pour cheminer sur la rue principale, dont je ne connais pas le nom, jusqu’au port, je savais ce que j’allais faire. J’allais errer. En dehors du lycée, je déambulais dans une ville qui ‘m’était fermée’, socialement ; je restais avec mes camarades, dans mon atmosphère lycéenne. On croisait les Dellysséens, sans se voir. On voyait des pécheurs qui réparaient leurs filets sur le port, sans nous arrêter; notre curiosité et notre ouverture pour la découverte et la culture générale, étaient désarmantes. Dès le printemps, on remarquait des jeunes qui marchaient pieds nus, aux cheveux longs blonds, couleur obtenue par rinçage avec un produit mélangé à de l’alcool, paraît-il. Ils retroussaient leurs pantalons jeans pour montrer leurs mollets. Ils étaient les créateurs du pantacourt, avant l’heure et sans le savoir. Leur ‘liberté’ de se comporter ainsi nous surprenait. Nous étions bridés et guindés par nos tabous qui interdisaient tout comportement ‘libéral’. Leur monde était loin du nôtre. Dans notre errance qui se limitait du centre-ville jusqu’au port, rien n’attirait notre attention. La seule distraction, à laquelle s’adonnaient quelques rares élèves, était le jeu de domino dans le café de Boualem, un garçon serveur handicapé moteur, toujours serviable et attachant.

Ces escapades en ville n’offraient aucune opportunité d’échanges entre les Dellysséens et les Lycéens. Cette ignorance mutuelle se retrouvait même à l’intérieur du lycée, en classe et dans la cour. D’une part, les quelques rares élèves habitants de Dellys, qui ne parlaient qu’en arabe, ne se mélangeaient pas avec les autres. Certains élèves qui venaient des villages voisins de Dellys, Bouberrak, Cap Djanet, Sidi Daoud.., ne parlaient pas un mot de kabyle. D’autre part, l’ignorance de la majorité des élèves kabyles de la langue arabe et du dialecte arabe algérien était criante. Ils ne faisaient aucun effort pour pratiquer cette langue. On ressentait le rejet entre les deux ‘communautés’. Ces jeunes qui venaient d’ailleurs, pour la plupart kabyles, changeaient la physionomie de la ville les jours de sortie. On entendait très peu de gens qui parlaient le kabyle dans les rues et dans les commerces qu’on fréquentait, en particulier la librairie, unique vendeur de fournitures scolaires.
Le soir, vers dix-neuf heures, je reprenais la même rue dans le sens inverse, pour rentrer au lycée.

Le racisme transpirait dans une frange de la société Dellysséenne. Certains habitants, en particulier les jeunes, montraient un racisme à visage découvert lors des matchs de la JSK, contre les équipes de championnat national ou lors de compétitions maghrébines. Cette équipe était l’étendard de la Kabylie et des kabyles, n’était pas portée dans le cœur de certains Dellysséens, à l’époque. Lors d’un match de la JSK contre l’équipe marocaine du FAR ou de SFAX du Tunisie (je ne me rappelle plus) pour la coupe des clubs champions du Maghreb, les supporters de la JSK qui revenaient du stade du 5 Juillet avaient trouvé des bougies allumées à l’entrée de la ville. C’était ainsi que les Dellysséens avaient fêté la défaite de la JSK.

La richesse acquise à la sortie du L.T.E, en dehors de l’excellente formation.  

Sur le plan scolaire, j’avais traversé un passage à vide en classe de Première. J’avais tout lâché, au premier trimestre. Je n’avais aucune visibilité à l’horizon. Je planais dans un brouillard d’inconscience et de démotivation que je n’avais jamais connu. J’avais tout juste dix de moyenne au semestre. J’avais été rappelé à l’ordre par mon cousin germain cheikh Idir GASMI qui avait eu le bulletin entre les mains. Il m’avait pris à part à Raffour, pendant les vacances de Noël, pour me dire: que se passe-t-il Saïd. Attention, cela ne va pas. Ces quelques phrases avaient suffi à me faire rougir et me faire honte. Il avait très bien fait. Le semestre suivant, tout était rentré dans l’ordre.

Sur le plan psychologique, je ne dirais pas que j’avais connu des moments de bonheur et joie. Même quand j’avais eu mon BAC, je n’avais pas sauté de joie. Je ne l’avais pas fêté, ma famille n’était pas du genre à féliciter les enfants lorsqu’ils réussissent leurs études. Elle n’avait aucun doute sur cela. Pour ma mère, réussir est tout à fait naturel et normal quand on s’est sacrifié pour cela. 

Les trois années du L.T.E m’avaient appris à ‘réprimer’ mes besoins et mes désirs autres que ceux de la scolarité. J’avais appris à résister à la jouissance de l’argent disponible en poche réservé et affecté aux achats de produits indispensables. Mon budget pour les deux ou trois mois d’internat, entre les visites, était de trente-six Dinars. Les dépenses étaient millimétrées. Le calcul était vite établi. Le transport consommait vingt-quatre dinars aller – retour. Neuf Dinars pour le train de Maillot à Menerville et trois Dinars pour le bus Mercedes de la SNTV qui reliait Menerville à Dellys. Les douze Dinars restants devraient couvrir les dépenses de toute la periode, dont l’achat de fournitures scolaires. La conséquence de la gestion d’un tel budget est la privation de toute consommation payante à l’extérieur du lycée. Je ne me suis jamais offert un café ou une limonade, en ville. La seule dépense que je me suis permise en trois ans, était deux séances de cinéma que j’avais payé à un dinar et vingt centimes, de mémoire ; ‘Sacco et Vanzetti’ et ‘Soul to Soul’. En Terminale, j’étais pris dans le piège de la cigarette. J’achetais un paquet d’Afras  par semaine ou deux selon les période de stress. C’est là où j’avais demandé une seule fois sur les trois années, de m’envoyer de l’argent. La demande avait été faite par courrier sans préciser le montant. J’étais à sec pendant plusieurs jours avant de me résigner à la solliciter ma mère. J’avais reçu, dans les trois ou quatre jours qui suivaient, cinquante Dinars, une somme énorme. Intelligente qu’elle était, elle s’était certainement dite, si mon fils fait appel à moi, pour la première fois, sa situation a dû être très difficile. Elle était folle, me suis-je dit !

Saïd HAMICHI

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