Le destin est une œuvre léguée qu’on façonne en dessein, si on veut …

Le destin est une construction et déconstruction cyclique d’une œuvre collective sans fin. Chacun y contribue comme un relais; il la reçoit, l’enrichit ou l’appauvrit et la transmet à son tour.

C’est un trésor que l’on constitue et qui nous accompagne dans le sac amniotique du fœtus qui devient, dès notre naissance, ‘un écrin encyclopédie’ que l’on tisse avec une matière extensible et transparente. Il sera le réceptacle de nos faits, de nos actes et la mémoire de nos paroles. Il se structure et s’organise naturellement en tomes qui retracent la vitalité et la richesse des périodes marquantes de notre existence. Le début et la fin de chaque tome sont des  marqueurs d’événements et d’actes décisifs qui influent cette existence. Leur contenu évolue, même sans intention, avec l’âge. Il est une braise sous les cendres qui ne s’éteint jamais ; elle cède son énergie au tome suivant dont la densité et l’étendue seront différentes. Cet ‘écrin encyclopédie’ est le témoin de notre apport, multidimensionnel, à l’œuvre collective de nos parents et de notre patrie, quand on ‘a la chance’ d’y vivre et de diffuser notre savoir, où à celle d’une autre nation qui nous accueille et qui sait reconnaître nos mérites ; ‘bien lui en a pris’.
 
Le premier tome est l’œuvre de nos parents, notre communauté (taddart) et de notre environnement. On ne choisit pas son contenu, c’est un legs. Il peut préfigurer la constitution des autres tomes sans pour autant les prédéfinir. Il est la dot ‘d’un trousseau’ qui contient l’histoire et la culture de nos aïeuls, les fondements de notre enfance et l’esquisse de notre futur. Dès l’âge de la prise de conscience, d’aucuns s’en servent, le consolident, l’enrichissent, le pérennisent pour perpétuer l’œuvre léguée. D’autres le remettent en cause, le rejettent voire le renient pour construire leur propre œuvre selon leur conception, leur perception, leur philosophie et leur but de la vie. Dans tous les cas, notre contribution n’est ni neutre ni libre. Elle est soumise à des exigences et des contraintes de notre environnement familial, et culturel ; du régime politique du pays dans lequel nous vivons ; de nos capacités intrinsèques ; des caractéristiques de notre personnalité. Elle impacte notre sphère privée et familiale; notre pays voire ‘l’humanité’ pour les génies. L’œuvre ‘héritée’ subit ainsi une transformation douce ou brutale; acceptée ou forcée; constructive ou destructrice. Elle est vivante et devient personnelle ; elle est active, animée et en éveil éternel. 

Mon ‘écrin encyclopédie’ a aujourd’hui 66 ans. Je l’ai tissé et continue de le confectionner comme une araignée tisse sa toile. Il collecte et classe mes contributions à l’œuvre collective dès qu’elles se manifestent. En remontant le temps, j’ai reconstitué le nombre de tomes de cette encyclopédie et leurs périodes ‘de rédaction’. Ils sont neufs, ‘écrits’ respectivement à l’âge de 14 ans, 16 ans, 19 ans et 24 ans, 29 ans, 34 ans, 36 ans, 40 ans, 42 ans, et l’actuel en cours à l’âge de 47 ans. Chacun intègre les enseignements des précédents et enrichit le suivant. Sur les neuf, j’en retiens cinq remarquables, initiés par des secousses violentes qui ont entrainé une rupture qui m’ont projetées, à chaque fois, dans l’inconnu. 14, 16, 19, 24 et 47; ils sont les âges signifiants références de mon parcours. Ils décrivent les secousses qui ont fondé ma vision de la vie, forgé ma personnalité et structuré mon mode de pensée. Les autres ont été ‘commis’ au gré des décisions prises pour donner une orientation et façonner mon destin. J’ai conservé méticuleusement toutes les pages pour les préserver de toute altération. Elles gardent leur richesse en secrets et en sentiments même quand ils ont été perturbants et dérangeants. J’ai tiré des enseignements ‘nutritifs’ de chaque événement vécu pour alimenter et bonifier mon œuvre.

Le premier est le repère du décès de mon père à Paris après un ‘exil économique’ de trois années sans le voir ni entendre sa voix. C’était le 9 mai 1970, j’avais 14 ans. J’avais vécu le bouleversement de ma vie et un questionnement profond sur ce que j’allais devenir et advenir. Je prenais conscience que je n’étais plus gamin insouciant; je n’étais plus le collégien préoccupé par ses seules études. Je suis devenu, plus que jamais, un orphelin. J’ai été pris de court sans aucun recul pour y faire face. Je me suis retrouvé dans une famille démunie de presque tout. J’étais comme une feuille morte qui tombe d’un olivier ballotté au gré du vent, n’ayant aucune prise sur ma destination ni sur la durée de mon errance. Le choc de la perte du père m’a fait subir une ‘trempe’ au sens physique et métallurgique du terme. Ce choc thermique avait ‘gelé’ mon état d’adolescent qui devait continuer sa croissance et sa maturité naturelles à la vitesse de la nonchalance, au rythme de l’insouciance et au gré de mon inconscience. Il a précipité mon esprit et mon corps dans un univers inconnu que j’allais découvrir et affronter. J’avais très peu d’armes si ce n’est l’éducation de droiture, de persévérance, de sérieux, de solidarité, d’abnégation, de respect des valeurs morales et matérielles, que j’avais reçue de mes parents et de ma communauté.

J’avais vécu cette disparition comme un séisme qui nous a mis à nu, moi et ma famille. Les ressources matérielles et financières étaient très limitées. On n’avait aucune source d’où jailliraient des ondes d’affection, d’amour, d’encouragement, de sollicitude, de réconfort moral autres que celles de la cellule familiale resserrée autour de ma mère. Nous étions comme un corps vivant amputée de la ‘’tête’’. Avec mes frères et sœurs, nous venons de renaître avec une mère devenue veuve, devait être, en plus de la mère, le père et l’oncle. Nous étions entourés de notre sœur ainée Fazia et son mari Mouloud, nos deux tantes paternelle Tassadit et maternelle Melaïd. Ma mère avait accepté, forcément, de jouer tous les rôles au gré des circonstances, sauf celui d’amie ou de copine même sur le tard de sa vie. Elle tenait à la majesté de sa mission d’éducatrice courageuse et digne, de protectrice, de chef de famille en somme. Si j’étais un artiste peintre, j’aurai dessiné une fresque représentant les méandres de ma vie en peignant des tunnels sombres, des marécages, des forêts vierges et épaisses traversées par des rivières escarpées, pour faire saisir la complexité et la rudesse de mon cheminement. Je rajouterai une devise :’Tant qu’on est submergé par l’obstacle et sans visibilité possible pour nous projeter, il faut chercher des failles pour les suivre et trouver l’air et la lumière qui permettent de survivre et s’en sortir. C’est une navigation en aveugle comme l’eau, qui doit finir dans la mer. Elle sinuera au fond d’une montagne pour se frayer son chemin en s’infiltrant dans des cavités, ou en les formant avec l’usure du temps. Dès qu’on est au-dessus de la vague ou de l’obstacle, avec de la visibilité, il faut définir un cap et une cible à atteindre’.

Pour fermer ce tome, je conclurais par un fait marquant. C’était la rentrée scolaire de septembre 1970 au collège. J’étais tout heureux de faire une rentrée, habillé d’un ‘’pantalon’’ couleur bleu ciel, léger, très léger et quasiment neuf. Non repassé, je n’avais ni électricité ni eau courante et le fer à repasser était un produit des gens de la ville. Ce ‘pantalon’ faisait partie de tous les effets que mon père avait ramassés dans les poubelles des rues du 15ème arrondissement de Paris, il était éboueur. Il préparait ses vacances qu’il allait passer avec nous au mois de mai 1970. Pour des raisons que j’ignore, il les avait reportées à septembre de la même année. Le sort en avait décidé autrement, il mourut en mai. Arrivé au collège, certains de mes camarades ‘bourgeois’, deux exactement dont je me rappelles encore les noms, me faisaient remarquer, que de ‘’pantalon’’ il n’en fût point. C’était en fait un pantalon de pyjama. Moi, ‘l’ignorant positif’, découvrais et entendais ce mot pour la première fois. Cette remarque ne m’avait nullement affecté. N’ayant pas de rechange à la hauteur de ce que je vêtis, j’avais porté jusqu’à son usure naturelle, c’est-à-dire après l’hiver, un hiver d’avant le réchauffement climatique !

Avec le temps et les épreuves, j’avais appris l’endurance, la résistance et la résilience pour m’adapter aux circonstances. Ce sont les atouts et les ingrédients d’un adolescent, c’est le socle de ce que j’allais devenir et de ce que je suis aujourd’hui.

Le tome de l’âge 16 prochainement
Saïd HAMICHI

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