Raconter l’existence de Ouarda prendrait un certain temps, un temps long. La résumer à la fille ‘sans le présence du père et de la mère’ qui s’était retrouvée à 33 ans seule pour assumer les missions de père, de cousins, de mère pour ses enfants serait dommage. ….

C’est un prénom qui résonne et qui porte plus loin que son nom. Elle est née dans les années 40 à Constantine. Fille intelligente et douée, elle fût scolarisée jusqu’en classe de 3ème , une prouesse pour une autochtone dans les années cinquante. Elle avait dû quitter le collège, à l’âge de 15 ans, pour travailler comme assistance médicale et ainsi aider sa grand-mère vieillissante femme de ménage. Quelques années plus tard, elle avait cessé son activité professionnelle pour poursuivre ses études interrompues, pour des raisons financières, et devenir infirmière diplômée d’état en 1976. Elle y tenait absolument. Le diplôme et le niveau d’instruction auxquels elle était arrivée étaient très honorables à l’époque, notamment pour une fille du niveau social de Ouarda.
Raconter l’existence de Ouarda prendrait un certain temps, un temps long. La résumer à la fille ‘sans le présence du père et de la mère’ qui s’était retrouvée à 33 ans seule pour assumer les missions de père, de cousins, de mère pour ses enfants serait dommage. On omettrait des pans de sa vie complexe et semée d’embûches mais oh ! combien fertile, riche et captivante. Je me limiterai, donc, à l’esquisse de son profil pour montrer son dévouement pour les autres, sa résistance et sa résilience face aux méandres de son destin et son sacrifice de fille ‘orpheline’, d’épouse malmenée et de mère courage exemplaire. Elle est une école de la vie d’une femme instruite, multiculturelle ; kabylo-franco-arabophone, avant-gardiste. Elle est une source d’intelligence, d’énergie positive et d’abnégation. Elle est une femme de devoir envers tous, ouverte d’esprit et tournée vers l’extérieur.
La vie de Ouarda, femme ballotée et secouée par les événements de son destin qu’elle avait affrontés quasiment seule mérite d’être connue. ‘C’est un chemin de croix’, un parcours d’une battante et une existence exigeante d’effort et de sacrifices pour les siens et sa communauté. Quand elle la narre, c’est avec un sourire naturel et sincère qui nous fait comprendre qu’elle met de la distance entre ce qu’elle a vécu et son état d’esprit tolérant et généreux. Ses yeux qui s’écarquillent nous montrent également qu’elle avait fait face sans se plier ni ‘misérabiliser’ sa situation. Cette vie escarpée, lui a aussi donné beaucoup de bonheur avec sept enfants élevés dans la solitude parentale. Elle la considère fondatrice de sa forte personnalité et de sa force de caractère. Le parcours de cette femme est loin de ce que nous pouvions imaginer ; il n’était pas tissé que de roses et de lauriers. Il est exemplaire et instructif à plus d’un titre. Ouarda n’a jamais cherché une revanche contre quiconque. Elle semble avoir tourné la page des soubresauts et des aléas, sans l’arracher ni la gommer. Elle n’exprime aucune amertume ni regret.
Dès sa naissance, le destin ne l’avait pas épargnée. Se retrouver seule avec sa grand-mère femme de ménage, n’était pas un choix, c’était un fait. Ouarda n’avait pas à accepter ou à refuser d’être élevée ainsi à Constantine, sans la présence du père. Elle était bébé, on avait décidé et dessiné son destin. Ce père, elle ne l’avait connu qu’à l’âge de 15 ans pour des raisons qui ne dépendaient pas d’elle. Se retrouver, quelques années plus tard femme séparée de son mari, quitter Constantine sa ville natale et son activité professionnelle stable et bien rémunérée, avec sept enfants à charge, n’était pas un choix de gaieté de cœur. Il était la seule issue pour sauvegarder ses enfants et sa vie. Avec du recul, elle remarque que la présence de la gent masculine dans sa vie, en dehors de ses fils, a été éphémère et plus nuisible que bénéfique.
Elle s’était mariée de la manière la plus traditionnelle. Les parents d’une relation de travail dans une clinique où elle travaillait l’avait demandée au mariage à sa grand-mère, qui avait accepté naturellement. Après 15 ans de vie conjugale tumultueuse qu’elle avait jugée intenable, elle avait décidé de quitter son époux. Son père avec lequel elle avait gardé des relations distantes et épisodiques jusqu’à sa mort, depuis leur rencontre, vint à Constantine lui conseiller de venir en Kabylie pour oublier sa mésaventure. Ce qu’elle fit en 1976 avec ses sept enfants. Elle avait quitté son travail d’infirmière à l’hôpital de Constantine et vint s’installer avec ses enfants, loin de Constantine, à Tazmalt dans la maison de son père. Elle ne parlait pas la langue, ignorait les codes, les traditions et les tabous de la société patriarcale kabyle et ne connaissait personne , hormis ses demis frères et son père.
Dans un premier temps, en se logeant chez son père avec ses sept enfants, elle était recrutée comme infirmière à Takerboust où le maire de l’époque et la population lui proposèrent une assistance matérielle très confortable. Mais, elle voulait se rapprocher des Iwaquren en s’installant à Raffour avec l’aide de son cousin Ahmed Ath Moussa qu’elle ne connaissait pas. Avec sa formation et son expérience, elle n’eut aucune difficulté pour être recrutée à l’hôpital de Maillot, comme infirmière. C’est ainsi qu’elle s’installât et s’intégrât avec Iwaquren à Raffour. Le début avait été très limite et critique matériellement et psychologiquement pour ne pas dire plus. Elle finit par trouver ses marques et sa place de Tawaqurth, pleinement.
Dans ce village de Raffour, une terre et une communauté dont elle ignorait tout et démunie de conditions matérielles, elle avait vécu une deuxième naissance. Celle-ci fût certes douloureuse, mais, elle avait trouvé du réconfort et un accueil remarquable de la part des Iwaquren et des habitants de la région de Maillot. Ils lui ont tout donné par la suite ; du respect et de la considération en particulier. Toute la population de la région de Maillot était devenue sa famille et Iwaquren en particulier, ses parents, ses frères et ses sœurs. Pendant les premières années, elle avait souffert seule avec un salaire d’infirmière qui ne menait pas loin pour une famille de sept enfants en âge de scolarisation à l’école primaire. Elle avait puisé ses ressources dans le courage et le travail.
Depuis qu’elle a intégré Iwaquren et l’hôpital de Maillot, le prénom de Ouarda est devenu un nom et une profession de foi; être aux côtés des autres. Nous la connaissons active, rigoureuse dans son attitude et respectueuse des codes, des traditions et des coutumes de notre société Iwaquren qu’elle avait épousés dès son arrivée à Raffour. Elle était pudique et réservée. Quand elle était arrivée et qu’on la rencontrait, nous savions qui elle était. La blancheur de sa peau, son accent constantinois et son français sans accent faisait d’elle une instruite, au mode de vie occidental, qui vit dans l’aise. Ses sept enfants ne montraient aucun signe de manque d’affection ou de pauvreté.
Elle était la première femme Tawaqurt à occuper un poste de responsabilité. Dévouée à sa mission d’infirmière diplômée et expérimentée elle grimpât les échelons dans sa carrière professionnelle pour devenir chef de service à l’hôpital de Maillot . Elle avait apporté un souffle nouveau, créé une dynamique et structuré une nouvelle organisation dans la maternité. Son expérience d’infirmière et de mère ont forgé en elle une touche sociale, une sensibilité et une écoute aux douleurs silencieuses des femmes. Elle avait de l’intuition, un sens d’analyse aigu et une intelligence pour comprendre l’environnement social, culturel et psychologique de la population. Elle ne comptait pas son temps malgré sa charge de mère et de père de famille de sept enfants âgés de X à Y ans. Elle était toujours disponible non seulement pour soigner les maladies mais surtout écouter les souffrances psychologiques des femmes qui n’avaient pas de confidents à qui se fier et se confier. Elle était une ‘accoucheuse’ de leur bonheur dans la naissance de leurs enfants et de leurs maux et souffrances. Sa présence était demandée et souhaitée par toutes les femmes qui allaient accoucher; elle représentait pour elle une assurance et une sécurité. Elle les rassurait et les confortait. Pour Tiwaqurine, la porte de sa maison était ouverte de jour les weekends comme de nuit sept jours sur sept. Avec son intuition et son sens d’analyse de notre société, elle avait vite compris qu’une frange de notre société, les handicapés mentaux, était ignorée. Ils étaient considérés comme un ‘un don de Rebbi contre lequel nous ne pouvions rien. Pour elle, ces ‘damnés de dieu’, étaient des êtres humains qu’il fallait intégré et auxquels il fallait accorder de la considération. Elle entreprit une action de leur identification, de leur transfert à l’hôpital de Maillot et de leur orientation, ensuite, vers des centres spécialisées d’Algérie.
La rencontre de Ouarda et Iwaquren se compare à un mariage de raison et un mariage d’amour entre deux époux qui ne se sont jamais vus. Elle s’était remariée avec ‘Iwaquren’ qui l’attendaient sans le savoir et sans la connaître. C’est une union qui est scelle pour l’éternité. Et pour le bien.
Saïd HAMICHI
Une brave femme
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Cher Saïd.
Je tiens tout d’abord à vous remercier pour cet hommage bien mérité pour cette grande dame.
En lisant ce récit, j’ai les larmes qui coulent.
Une dame forte, une maman douce et une infirmière dévouée qui a pu tracer un chemin au milieu des épines, et qui a su se faire un nom hormis les tracasseries de la vie.
J’ai eu de la chance de la connaître durant les années 90, je l’ai connu plus durant des circonstances pénibles, Lors de l’accouchement et la perte de mon premier bébé à l’hôpital de maillot, je ne peux oublier sa gentillesse et son soutien.
C’est un exemple de la femme algérienne, forte et combattante, elle mérite tous les éloges.
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Chère Nadjia,
Effectivement, Ouarda est une ‘institution’ chez Tiwaqurine et tu en fais partie. Tu es Tawaqurt. Nous t’avons adoptée. J’espère faire découvrir d’autres femmes et hommes Iwaquren d’une grande valeur.
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